Passion design

6 marchands d’art renommés retracent l’évolution des goûts depuis qu’ils ont rejoint 1stDibs  

Quoi de mieux pour fêter le 21e anniversaire de 1stDibs que de réunir plusieurs marchands d’art new-yorkais renommés qui font partie de nos tout premiers vendeurs ? Au début de l’été dernier, le directeur éditorial de 1stDibs, Anthony Barzilay Freund, a demandé à Paul Donzella, à Benoist F. Drut (Maison Gerard), à Kim Hostler et Juliet Burrows (Hostler Burrows), à Evan Lobel (Lobel Modern) et à Liz O’Brien de se joindre à lui lors d’une discussion sur Zoom avec pour sujets les objets anciens ainsi que le design vintage et contemporain, mais également les changements auxquels ils ont assisté (et qu’ils ont lancés, dans une certaine mesure) au cours de leurs longues carrières durant lesquelles ils ont vu les plus beaux objets du monde.

Copie d'écran de la réunion Zoom avec le directeur éditorial de 1stDibs, Tony Freund, et des marchands d'art new-yorkais
Le directeur éditorial de 1stDibs Tony Freund (en haut, au milieu) a organisé récemment une réunion sur Zoom avec les marchands d’art new-yorkais renommés (dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant d’en haut, à droite) Juliet Burrows (HOSTLER BURROWS), LIZ O’BRIEN, PAUL DONZELLA, Kim Hostler (Hostler Burrows également), Evan Lobel (LOBEL MODERN) et Benoist F. Drut (MAISON GERARD). La réunion portait sur les tendances passées et présentes en matière de ventes et de collections.

Anthony Barzilay Freund : Bienvenue à tous. Je suis ravi que vous ayez pu nous rejoindre pour notre anniversaire, car vous êtes tous là presque depuis le lancement de 1stDibs. C’est comme si je vous connaissais depuis toujours. Mais commençons par une brève présentation de chacun d’entre vous.

Juliet Burrows : Je m’appelle Juliet Burrows. Je suis l’une des fondatrices d’Hostler Burrows. Nous avons ouvert notre première galerie en 1998. Nous sommes spécialisées dans le design scandinave et nordique, notamment les céramiques d’atelier, et nous proposons aussi du design vintage et contemporain international.

Kim Hostler : Et moi je suis Kim Hostler, la partenaire de Juliet, de Hostler Burrows. 

Liz O’Brien : Ma galerie s’appelle Liz O’Brien. Nous avons ouvert en 1993. Je suis spécialisée dans le design américain du milieu du XXe siècle, et je propose également des pièces françaises et italiennes de la même époque, ainsi que, depuis peu, de plus en plus d’œuvres de créateurs contemporains.     

Evan Lobel : Moi c’est Evan Lobel. Ma galerie s’appelle Lobel Modern. Je l’ai ouverte en 1998 en mettant l’accent sur le design américain du XXe siècle, notamment des années 1960, 1970 et 1980, avec des meubles de plusieurs genres artistiques. 

Paul Donzella : Je m’appelle Paul Donzella, le propriétaire de Donzella, Ltd., une galerie que j’ai fondée en 1994. Je suis spécialisé dans le design d’après-guerre italien et américain, avec notamment des céramiques et des sculptures.

Benoist F. Drut : Je suis Benoist Drut, propriétaire de la galerie Maison Gerard, fondée par Gerardus A. Widdershoven en 1974. Nous sommes spécialisés dans les meubles, luminaires et objets d’art raffinés créés par des sommités du style Art déco français, ainsi que dans le design contemporain de collection conçu par des visionnaires du XXIe siècle. 
 

Portrait d'Evan Lobel
La galerie d’Evan Lobel est dédiée au design américain du XXe siècle, avec notamment des pièces des années 1960, 1970 et 1980 qui estompent la frontière entre mobilier et art. Il pose ici avec derrière lui un miroir œil de bœuf Karl Springer et son perroquet de compagnie Henri sur l’épaule. Photo Alexandra Rowley

Tony : Parfait. Merci. Je suis curieux de savoir ce qui vous a amené de prime abord dans ce monde. Qu’est-ce qui vous a attiré dans le design ? 

Evan : J’ai travaillé pour un fonds spéculatif pendant une dizaine d’années. Il n’y avait pas beaucoup d’interactions avec d’autres personnes et ce n’était pas très créatif. J’aspirais à une autre carrière et je m’étais déjà pris de passion pour les meubles et le design du milieu du XXe siècle grâce à mon ami Paul Donzella. J’avais très envie de faire partie d’un monde où j’allais voir de belles choses me passer entre les mains et où je pourrais en apprendre davantage sur les créations incroyables de cette époque.     

Tony : Quelle a été la première pièce que vous avez achetée pour vous-même ou pour la galerie ? 

Evan : Je faisais des collections depuis un moment, avec une prépondérance pour T.H. Robsjohn-Gibbings, Edward Wormley et Harvey Probber. Lorsque j’ai ouvert ma galerie, j’y ai exposé un grand nombre de pièces issues de mes collections personnelles. 

Tony : Est-ce que quelqu’un d’autre souhaite évoquer ses débuts ?

Liz : Je suis arrivée là par accident en fait. J’ai décroché un emploi chez Alan Moss et cela devait être temporaire. Puis j’ai travaillé quelque temps avec Tony DeLorenzo, et en même temps, j’ai commencé à aller sur les marchés d’objets anciens. Je pense que nous avons tous été très chanceux lorsque nous avons commencé dans le métier. Il y avait tellement de pièces intéressantes que l’on voyait pour la première fois sur le marché. Il n’y avait pas beaucoup de documentation, alors nous devions tous faire de nombreuses recherches. Nous avions beaucoup à apprendre. Cela me passionnait.  

Pièces en céramique Guido Gambone sur une table à manger Philip and Kelvin LaVerne entourée de chaises de salon Paul Evans
Pièces issues d’un SERVICE À CAFÉ ET À EXPRESSO en céramique Guido Gambone sur une TABLE À MANGER CHAN Philip and Kelvin LaVerne entourée de CHAISES DE SALON en patchwork Paul Evans. Photo Alexandra Rowley

Tony : Liz, en quoi vous-êtes vous spécialisée lorsque vous vous êtes installée à votre compte ?  

Liz : Lorsque j’ai ouvert au 41, Wooster Street, j’étais très intéressée par la mode et le surréalisme des années 1940. C’était très en vogue à Paris, mais il n’y avait absolument personne à New York qui proposait la même chose. J’ai donc fait beaucoup d’allers-retours à Paris. J’ai ensuite fait l’acquisition d’objets américains très intéressants. 

Tony : Quel genre d’objets ?

Liz : Des créateurs comme Charles Eames et George Nelson étaient déjà très prisés des collectionneurs, mais je n’étais pas vraiment intéressée. Je me suis mise à acheter des œuvres de Samuel Marx et Robsjohn-Gibbings, qui sont devenus nos deux créateurs principaux. 

Benoist : Je me souviens avoir fait des achats pour un client à mes débuts, et c’est Liz qui proposait les plus belles pièces de Samuel Marx. Tout venait de chez lui. C’était très novateur. Le marché n’était pas connu. 

Liz : Aujourd’hui, nous avons des livres, mais c’était différent à l’époque. Les gens venaient dans ma galerie et demandaient : « Quels livres avez-vous ? » Il n’y avait que les ouvrages de Martin Battersby. Je leur recommandais des livres sur la mode et le surréalisme. 

Portrait de Liz O'Brien
Liz O’Brien a ouvert sa galerie en 1993. Aujourd’hui, elle est spécialisée dans le design américain du milieu du XXe siècle. Elle propose également des pièces françaises et italiennes de la même époque, ainsi que, depuis peu, de plus en plus d’œuvres de créateurs contemporains. « Je pense que nous avons tous été très chanceux lorsque nous avons commencé dans le métier », estime Liz O’Brien en parlant d’elle et de ses collègues participant à la réunion. « Il y avait tellement de pièces intéressantes que l’on voyait pour la première fois sur le marché. Il n’y avait pas beaucoup de documentation, alors nous devions tous faire de nombreuses recherches. Nous avions beaucoup à apprendre. Cela me passionnait. » Photo Alexandra Rowley

Tony : Vous avez tous vraiment ouvert la voie vers des territoires inexplorés. 

Paul : Quand on nous présentait à un créateur dont on n’avait pas vraiment entendu parler, les pièces avaient un certain mystère et nous imaginions les autres œuvres que cette personne avait pu créer. Comme l’ont dit mes collègues, il n’existait pas beaucoup de livres sur le sujet, et cela nous motivait d’autant plus à en apprendre davantage. C’était presque aussi passionnant de rechercher de la documentation sur ces créateurs que de trouver les pièces, car les écrits nous en apprenaient plus que ce que nous aurions trouvé en discutant avec d’autres personnes. Le mystère était donc résolu grâce à de vieux magazines et à des publications anciennes.

Benoist : Gerard a fondé la galerie en 1974 et à l’époque, nous récupérions les différentes publications datant de l’époque de nos meubles, soit des magazines des années 1920, 1930, etc. C’était notre seule source d’informations. Nous vivions une aventure très différente. À l’époque, nous ne pouvions pas aller sur un marché aux puces et faire des recherches sur Internet. Il fallait tenter sa chance.  

Tony : Benoist, dites-moi comment vous êtes arrivé dans ce secteur. 

Benoist : En fait, mes parents ne sont jamais allés dans un magasin de meubles pour acheter du neuf. Ce n’était pas dans notre ADN. Ma mère allait chez un marchand local qui vendait des objets anciens. J’ai grandi dans un petit village situé à 1 heure de Paris, mais sans commune mesure avec la capitale. Quand j’avais 10 ans environ, je ne cessais de demander à aller voir les marchands d’art parisiens. J’ai fait des études de droit car je voulais devenir commissaire-priseur. À l’époque, en France, il fallait un diplôme de droit pour exercer ce métier. Puis très rapidement, je me suis rendu compte que le droit, ce n’était pas pour moi. Après avoir travaillé pour un commissaire-priseur à Paris, je suis allé à New York afin de débuter avec Roger Prigent, de Malmaison, le célèbre marchand d’art et collectionneur, puis avec Karl Kemp, et enfin j’ai rencontré Gerard, et vous connaissez la suite.

Tony : Kim, voulez-vous nous dire comment vous avez commencé ? 

Kim : J’ai grandi dans ce milieu. Ma mère était artiste et mon père réparait des objets pour pouvoir les vendre aux enchères. L’un de mes premiers souvenirs d’enfance, et c’est vrai, c’est lorsque nous allions à des ventes aux enchères à la campagne. Côtoyer de belles choses faites à la main a toujours fait partie de ma vie. Mais je travaillais aussi dans un hippodrome. Je suis devenue entraîneuse adjointe et on m’a proposé de travailler quarante poulains à Ocala, en Floride. À la même période, j’étais aussi négociatrice, acheteuse et vendeuse. J’avais vendu à Mark Isaacson [membre fondateur de la galerie new-yorkaise Fifty/50 Gallery] plusieurs meubles Eames qui se trouvaient au sud de la Californie. Je m’apprêtais à les livrer à Mark, puis à me rendre en Floride. Quand j’ai rencontré Mark, il m’a remis un livre, Glass 1959, et m’a dit : « Si vous trouvez quelque chose qui est dans ce livre, je vous l’achète. » Puis il a demandé : « Pourquoi partez-vous en Floride ? Allez plutôt à New York. » Et il m’a embauchée. Je décidai alors d’arrêter l’entraînement de chevaux, et je suis retournée à Philadelphie, là où j’avais grandi. Et j’ai commencé à fournir des objets à Mark. Je travaillais en tant qu’assistante artistique pour David Deutsch dans le West Village quand j’ai rencontré Juliet qui courait partout. 

Collage d'images des galeries d'Evan Lobel et Liz O'Brien
Photos anciennes d’Evan Lobel et Liz O’Brien durant les deux dernières décennies.

Tony : Paul, je crois que votre histoire est mêlée à celle d’autres participants à cet appel Zoom, mais dites-nous comment vous êtes arrivé dans ce métier.

Paul : Quand j’étais enfant, je faisais toujours des collections. J’ai commencé par les disques et les fripes. Puis j’ai vécu à New York et travaillé chez El Teddy’s ([célèbre restaurant du quartier de Tribeca]). Je me promenais tout le temps dans Lafayette Street, où se trouvaient cinq ou six boutiques du milieu du XXe siècle. J’étais attiré à chaque fois, alors je suis allé voir ce qu’il y avait à l’intérieur. En même temps, au travail, un responsable était en train de découvrir ce monde des objets anciens. Alors nous avons commencé à partir ensemble sur les routes, à la chasse aux trésors. Et à partir de là, tout s’est accéléré. Alors que je cherchais désespérément de la documentation, je suis allé chez un libraire qui m’a vendu une collection de magazines Interiors (de 1947 à 1964). Je ne savais pas à l’époque qu’il s’agissait probablement du magazine le plus important sur le design intérieur américain. C’est grâce à cette pile d’1,5 mètre de magazines que j’ai pu découvrir l’intégralité du marché du milieu du XXe siècle. C’est devenu une obsession. 

Tony : Vous les avez toujours ? 

Paul : Oui. Et dans chaque numéro, il y a une page avec toutes les notes que j’ai prises. Quelques années plus tard, j’ai ouvert mon premier magasin, et j’ai rencontré Benoist dès le premier jour. Environ trois mois après, j’ai fait la connaissance d’Evan. J’ai rencontré toutes ces personnes. Et Juliet et moi travaillions dans le restaurant quand elle était danseuse. C’était une période vraiment passionnante. Et comme l’a dit Liz, le marché était tout nouveau. Il y avait tant de choses à découvrir. Je me souviens que Liz m’a dit un jour : « Le problème avec le style Art déco, c’est qu’une grande partie des meilleures pièces sont déjà sur le marché. Mais dans notre domaine, les meilleures pièces n’ont même pas encore été vues. » J’ai toujours trouvé cette remarque pertinente et c’est cela qui nous motivait : trouver des choses dont nous ignorions l’existence même.

Portrait de Kim Hostler et Juliet Burrows
Kim Hostler et Juliet Burrows ont fondé leur galerie en 1998 en se spécialisant dans les pièces scandinaves et nordiques, notamment les céramiques d’atelier. Elles proposent aussi du design vintage et contemporain international. Elles prennent ici la pose à côté de deux œuvres de l’artiste danoise Karen Bennicke qui ont été ajoutées à une exposition récente de la galerie : « BEND, BUBBLE AND SHINE: COPENHAGEN CERAMICS AT HOSTLER BURROWS » (COURBES, BULLES ET BRILLANCE : LES CÉRAMIQUES DE COPENHAGUE À L’HONNEUR CHEZ HOSTLER BURROWS). Photo Alexandra Rowley

Tony : Êtes-vous tous encore animés aujourd’hui par cet esprit de découverte ? Écoutons les débuts de Juliet, et je voudrais ensuite approfondir ce sujet.  

Juliet : Mon père était professeur, et j’ai passé la première année de ma vie à Lund, en Suède, parce qu’il était en congé sabbatique. Quand Kim et moi avons commencé à travailler, je me suis rendue compte que mes parents avaient ramené quelques pièces de Suède, dont de jolis petits cendriers Höglund sur lesquels je lorgnais vraiment quand j’étais petite. J’étais toujours attirée par les belles choses. Ma grand-mère était créatrice. Elle a eu pendant des années un bureau dans le D&D Building. Elle s’appelait Roz Burrows. Elle a vécu à Sutton Place et possédait de magnifiques lampes et des belles choses. Tout était tapissé chez elle. C’était un monde tellement différent de la maison où j’ai grandi, dans le New Jersey. Et je pense que c’était vraiment une porte vers un univers du design dont j’ignorais l’existence. 

J’étais danseuse professionnelle pour Mark Morris quand j’ai rencontré Kim lors d’une soirée en 1994. Je me souviens de la première fois où je suis allée dans son appartement de Greenwich Avenue. Elle avait des sculptures et de belles peintures, ainsi que des vases en verre soigneusement choisis. Je me demandais vraiment qui était cette personne. À l’époque, je travaillais chez El Teddy’s. Paul me formait. Alors, vous savez, les soirées se terminaient tard. C’était une période agréable. Quand je me levais le matin, Kim était déjà au téléphone depuis des heures à vendre des choses. C’était complètement nouveau pour moi. J’ai ensuite dansé dans un opéra de Londres, et quand j’avais du temps libre, j’allais au magasin de meubles anciens Alfies. J’y ai trouvé des vases danois qui m’ont beaucoup plu. Je les ai installés sur le rebord de la fenêtre. Ils me rappelaient le fait que quelque chose était en train de naître en moi, ainsi que ma relation avec Kim. Nous étions vraiment en train de tomber amoureuses. L’enchaînement vers une autre carrière s’est fait naturellement et dans la bonne humeur.  

Œuvre Hostler Burrows
« Bend, Bubble and Shine » comprenait aussi des œuvres de l’artiste danois contemporain STEEN IPSEN. Photo Alexandra Rowley

Tony : Comment en êtes-vous venues à ouvrir une galerie ?

Juliet : Kim et moi avons commencé très tôt à voyager ensemble à Stockholm et à ramener des objets dans nos valises. Nous allions aux marchés aux puces et nous vendions à d’autres marchands. J’adorais faire des recherches et des découvertes sur ces créateurs, et trouver des trésors. Puis, nous nous sommes dit : « Ouvrons une galerie. »

Tony : Que vendiez-vous au début ?  

Juliet : Comme tout le monde l’a fait remarquer, ces objets étaient totalement inconnus. Personne n’avait entendu parler de Finn Juhl. Nous proposions des céramiques d’Axel Salto et de Berndt Friberg. C’était passionnant. Mais c’était aussi difficile d’avoir sa propre affaire à New York. Dans les moments difficiles, nous nous disions que nous n’allions jamais y arriver. Que nous n’allions jamais refaire une vente. Et à chaque fois, il se passait quelque chose. Kim disait : « C’est le dieu des objets anciens. »

Tony : J’adore. Ça pourrait être le titre de cette histoire ! J’aimerais revenir sur les concepts de découverte et d’apprentissage. Est-ce que cela vous anime toujours ? 

Benoist : Oui. Le mois dernier, j’ai découvert un fabricant londonien du début du XXe siècle, 1910 plus précisément, dont j’ignorais l’existence. Ce fut l’occasion d’entreprendre de nouvelles recherches. Nous verrons le résultat dans 3, 4 ans.

Portrait de Paul Donzella
Pour sa galerie éponyme, Paul Donzella sélectionne avec soin des créations d’après-guerre, d’Italie et des États-Unis. Il pose ici avec (à partir de la gauche) un lampadaire MoonWalk de Lorin Silverman, une bergère modèle #6053B d’Osvaldo Borsani pour ABV, une TABLE DE CHEVET de Paolo Buffa avec au-dessus une sculpture d’assemblage de David Haskell et une TABLE D’APPOINT ARCHITECTURALE avec au-dessus une lampe de table d’Alessandro Pianon pour Vistosi. Les étagères derrière lui comportent entre autres des pièces de CAS Vietri, de Robbie Heidinger, de William Lemariey, de LUCIEN PETIT, de Roberto Giulio Rida et de William Tarr. Photo Alexandra Rowley

Paul : Je fais tout le temps des découvertes. Je découvre de nouveaux créateurs, de nouveaux artistes. Et j’apprends à apprécier des choses auxquelles je ne m’intéressais pas forcément il y a une dizaine d’années. Au moins une fois par semaine, je rencontre pour la première fois une personne passionnée par quelque chose qui est exposé dans ma galerie. Je dois lui donner des informations et satisfaire sa curiosité. 

Tony : Est-ce que cela vous inspire tous de rencontrer un collectionneur et d’être capable de l’orienter ? Ou de rencontrer des personnes ayant la même passion ?

Evan : Je pense que nous sommes tous très impliqués dans l’apprentissage et l’apport de connaissances sur le marché. Beaucoup de personnes veulent en savoir plus sur les créateurs qu’ils aiment comme Philip and Kelvin Laverne, Paul Evans ou Karl Springer. Et c’est révélateur d’avoir suffisamment d’informations pour susciter un véritable intérêt de la part de vos clients. 

Liz : Je me souviens de mon arrivée sur des salons en France et de me sentir à ma place en voyant tous les fourgons. On sait qu’on a le même état d’esprit, et tout le monde est curieux de savoir ce que vous faites. Mon moment préféré, c’était lorsque, après une journée sur le salon, nous nous réunissions et que tout le monde racontait ce qu’il avait trouvé et appris.  

Juliet : À mon avis, c’est pour ça que beaucoup de marchands d’art ont aussi commencé à travailler avec des artistes et des créateurs contemporains. Kim est vraiment ancrée dans le vintage mais moi, mon truc, c’est surtout le relationnel et l’inspiration insufflée par les artistes, ainsi que de pouvoir les faire connaître. Il existe une multitude de matériaux à exploiter. 

Fauteuils assortis entourant un meuble en bois
Chez Paul Donzella, DEUX BERGÈRES STYLISÉES entourant un MEUBLE À DEUX PORTES BORSANI POUR ABV avec au-dessus DEUX LAMPES DE TABLE de Max Ingrand pour Fontana Arte et une sculpture de nuage réalisée par Chris Gustin. La table basse Strategy est de Philip and Kelvin LaVerne. Photo Alexandra Rowley

Tony : En ce qui concerne le design contemporain, je me demande comment s’adaptent les collectionneurs. Les collectionneurs de la génération d’avant se consacraient à un seul domaine : les meubles français du XVIIIe siècle, par exemple. Aujourd’hui, on dirait que les collectionneurs s’intéressent aux beaux objets issus de toutes les catégories : les objets anciens, le vintage, et, de plus en plus, le contemporain. 

Benoist : Je pense que c’est une évolution naturelle. Nous avons tous des origines et un passé différents. Nous ne vivons pas comme Marie Antoinette, avec seulement des meubles du XVIIIe siècle. Nous avons aussi des meubles très modernes et un canapé confortable. C’est plus représentatif de ce que nous sommes. 

Paul : Pour moi, ça a été comme une révélation de commencer à travailler avec des créateurs contemporains. Comme un grand nombre de mes collègues, j’étais très réticent au début car je m’intéressais au vintage. Certaines personnes confondaient, à notre grand dam, le design contemporain et les reproductions de pièces vintage. 

Mais quand j’ai commencé à travailler avec des créateurs contemporains, le premier étant le Français Alexandre Logé, avec qui je travaille toujours, j’ai pu voir ce qu’était l’élaboration d’une pièce et j’ai eu un véritable dialogue avec son créateur. Il est également possible de commander des pièces, ce qui ouvre une perspective totalement nouvelle au métier, aussi passionnante que la chasse aux pièces vintage.

« J’avais très envie de faire partie d’un monde où j’allais voir de belles choses me passer entre les mains et où je pourrais en apprendre davantage sur les créations incroyables de cette époque », explique Evan Lobel, de Lobel Modern, quant à sa décision de devenir galeriste.

Kim : Effectivement, il y a un aspect découverte avec les nouveaux matériaux naturels. C’est un pari d’un nouveau genre, car on apporte une nouveauté sur le marché. Pour nous, cela doit vraiment s’adapter à notre vision et aller dans le sens de ce que nous faisons. 

Tony : Il y a un fil conducteur entre le vintage et le contemporain.

Liz : Oui mais à l’époque, c’était vraiment tabou pour un marchand d’objets anciens de commencer à proposer des œuvres contemporaines. Aujourd’hui, c’est totalement différent. Et Kim a raison : une fois que vous êtes bien installé, comme c’est notre cas, vous avez une certaine manière de voir les choses. Et lorsque l’on ajoute des œuvres contemporaines, c’est en rapport avec cette vision particulière.

Benoist : Nous avons des liens avec ces artistes. C’est très personnel, et nous avons une responsabilité envers eux. 

Tony : Ce qui revient régulièrement dans notre discussion, c’est que vous vous impliquez pour ces artistes, qu’ils soient vivants ou non. Ce qui vous intéresse, ce n’est pas de trouver des pièces populaires pour les vendre rapidement et facilement, mais c’est l’histoire, le savoir et forger la réputation et le marché d’un créateur. C’est un engagement sur la durée.

Portrait de Benoist Drut avec son chien
Benoist F. Drut (Maison Gerard) gère une galerie fondée il y a une cinquantaine d’années par le marchand d’art légendaire GERARDUS A. WIDDERSHOVEN, décédé l’an passé. Il a rencontré Gerardus A. Widdershoven après avoir travaillé comme commissaire-priseur à Paris, ainsi que pour d’autres grands galeristes de New York spécialisés dans le design. Photo Alexandra Rowley

Benoist : Oui, il faut savoir être patient.

Juliet : Je confirme. Quand on envisage de travailler avec un nouvel artiste, on veut faire de son mieux, car c’est très important pour lui. Quand nous avons vendu la première pièce d’un artiste contemporain, j’ai ressenti une satisfaction que je n’avais jamais connue auparavant. Annoncer par téléphone que nous avions réalisé une vente, cela a été extraordinaire pour moi.

Tony : Pouvez-vous nous expliquer le rôle des décorateurs d’intérieur dans la réussite de vos activités ?

Paul : Les décorateurs jouent un rôle majeur dans mon travail. Je me dis toujours que les décorateurs d’intérieur sont intéressés par la recherche de nouvelles choses, et qu’ils voient au-delà de ce que cherchent les collectionneurs. Cela m’a permis d’acheter de façon plus large et de suivre ce qui me passionnait. Ils ont aussi eu une influence sur mon attitude envers la restauration des pièces. Quand j’ai commencé mon activité, de nombreux marchands d’art estimaient qu’il était inutile de refaire la finition des pièces. Je leur disais : « Pourtant, je pense que les gens qui viennent apprécient de voir des pièces dans un meilleur état. » Donc le secteur de la décoration d’intérieur a joué un grand rôle dans mon activité.

Liz : Je dirais au nom de nous tous que nos sélections et nos manières de les présenter sont très influencées par la décoration d’intérieur. Je me souviens, alors que j’étais dans ma boutique de Wooster Street, qu’Albert Hadley était entré et m’avait demandé : « Savez-vous qui a réalisé ce tissu ? ». Au bout d’un moment, j’avais une liste de créateurs sélectionnés pour lui. J’ai toujours trouvé les décorateurs d’intérieur très réactifs, curieux et intéressants.  

Evan : J’ai ouvert en 1998 et dès le départ, mes clients les plus importants étaient des décorateurs d’intérieur. Nous sommes tous engagés à 100 % envers les créateurs sur qui nous nous spécialisons et envers l’esthétique que nous adorons. Je pense que les décorateurs d’intérieur comprennent vraiment cela car ils fonctionnent de la même manière.     

Juliet : Ils comptent sur nous pour que nous restions tels que nous sommes et que nous soyons toujours fidèles à notre vision, même quand nous proposons de nouvelles pièces. Ainsi, quand ils viennent dans la galerie avec un client, c’est pour lui montrer le style Hostler Burrows. Ils font ça, ça et ça. Les plus grands collectionneurs ont un conseiller artistique, et ils travaillent avec des architectes et des décorateurs d’intérieur. Et s’ils prennent quelque chose dans votre galerie, qu’il s’agisse d’une pièce en céramique ou d’une chaise, c’est pour l’ajouter à une collection très importante. Ils veulent connaître sa provenance et ils nous font confiance sur le fait qu’en tant que marchands d’art, nous savons de quoi nous parlons.

Tony : Est-ce que l’un d’entre vous à des conseils à donner aux collectionneurs ?

Benoist : Je pense qu’il faut surtout suivre son instinct. N’achetez pas parce que cela va prendre de la valeur. Achetez ce que vous aimez, et pas ce que possède le voisin, parce que vous devez avoir la même chose. Car vous verrez cet objet tous les jours. Il doit correspondre vraiment à ce que vous aimez. 

Kim : Achetez au mieux avec vos moyens. 

Benoist : Tout à fait. Certaines des pièces que j’aime toujours le plus sont celles que je ne pouvais pas me payer, et que j’ai eu à régler en plusieurs fois. 

Tony : Passons à un autre sujet. Vous avez tous assisté à l’impact d’Internet sur le marché de l’art et du design. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ? 

Benoist : Rien ne remplace le fait de voir une pièce en vrai, mais Internet est une fabuleuse fenêtre sur le monde. Avec 1stDibs, nous avons traité avec des clients situés très loin, ce qui n’aurait pas été possible si nous nous étions contentés de notre site Internet.  

Evan : Je me souviens de l’époque où il n’y avait pas Internet : les créateurs et leurs clients venaient passer du temps dans la galerie. C’était plus une expérience. Mais j’ai été contacté via 1stDibs depuis les quatre coins du monde par des collectionneurs, des designers et des personnes qui voulaient simplement en savoir plus sur un objet.

Photos anciennes de Paul Donzella, Kim Hostler, Juliet Burrows et Benoist Drut datant des deux dernières décennies.

Benoist : Quand nous avons rencontré [le fondateur de 1stDibs] Michael Bruno pour la première fois, juste après le lancement du site, Gerard m’a dit : « Je ne suis pas sûr d’avoir compris ce qu’il voulait dire avec son Internet. Mais il a l’air de savoir de quoi il parle. Je pense que nous devrions essayer. » C’est ce que nous avons fait, et vous voyez le résultat aujourd’hui.

Paul : Cela a bien sûr fait venir beaucoup de monde dans ma galerie, en personne ou en ligne. J’achète également sur Internet. Alors à cet égard, c’est très bien.           

Benoist : Cela a changé la donne. 

Juliet : Maintenant, Internet est comme une extension de notre cerveau. Et ne serait-ce que pour s’informer sur les prix et pour l’exposition, c’est inestimable. Bien sûr, Internet ne fait pas tout. Il n’y a pas le relationnel, le toucher, le contact physique.

Tony : Le côté tactile et physique est particulièrement recherché suite à l’isolement provoqué par la COVID. Il y a aussi un intérêt plus marqué pour la mise en valeur de son intérieur. Pas juste parce que les gens y passent plus de temps, mais parce qu’ils tiennent à trouver l’inspiration et à s’épanouir dans leur environnement.

Juliet : Oui, ils cherchent également des choses fabriquées à la main, et s’intéressent davantage aux matériaux naturels.  

Evan : Je suis tout à fait d’accord.

Paul : Moi aussi.

Kim : Je pense que les gens achètent des objets qui leur apportent quelque chose plutôt que d’être seulement décoratifs, afin de profiter d’un cadre apaisant quand ils rentrent chez eux. C’est ce que nous constatons nettement. 

Evan : Pour moi, la beauté de la vie se trouve dans le ici et maintenant, et dans le fait de profiter du monde physique qui nous entoure. 

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