2 mai 2021En septembre 2017, l’architecte d’intérieur David Carter était au téléphone dans son bureau de l’East End de Londres quand un coup de sonnette inattendu retentit. C’était un couple accompagné d’un bébé d’un an. « Je n’avais aucune idée de qui ils étaient ni de l’objet de leur visite », se souvient-il. « Ils n’avaient pas pris rendez-vous. J’ai été un peu surpris et j’ai hésité à les laisser entrer car j’avais d’autres choses à faire cet après-midi-là. » Mais il était intrigué par leur apparence : « ils étaient tous les deux impeccablement habillés. On aurait dit qu’ils arrivaient tout droit d’un yacht prestigieux ».
Il se trouve qu’ils étaient sur le point de sauter dans un avion pour passer six mois aux États-Unis, et qu’avant de partir, ils voulaient savoir si David Carter serait intéressé par la décoration de la maison qu’ils venaient de louer à Londres, une demeure du XIXe siècle, plutôt grandiose, située près de Holland Park, dans le quartier de Kensington. Lorsque David Carter s’est rendu sur place quelques jours plus tard, il a découvert que la propriété avait été rénovée récemment et il a immédiatement compris pourquoi le couple avait besoin d’aide. « Une menuiserie horrible, des sols orange affreux, des papiers peints aux motifs étranges et des salles de bains des années 70 », se souvient-il. Il se souvient aussi d’un ascenseur « épouvantable » et d’une cage d’escalier « atrocement étroite ».
C’était « tout simplement démentiel », explique-t-il. Comme la maison était en location, il savait qu’il ne pourrait pas entreprendre de grands travaux structurels. Au lieu de cela, il allait devoir laisser opérer sa magie de décorateur.
C’est exactement ce qu’il fait depuis 30 ans, ce qui lui a valu d’être surnommé par AD Italie le « maître de l’illusion ». Le designer s’est très tôt pris de passion pour les intérieurs. Sa mère s’adonnait à la vente d’antiquités et, à l’âge de 12 ans, il participait déjà à des ventes aux enchères.
Il s’est d’abord lancé dans une carrière de consultant indépendant en marketing, mais s’est reconverti dans la décoration professionnelle peu avant ses trente ans, après qu’un appartement qu’il s’était aménagé dans le quartier londonien d’Islington a fait la couverture de World of Interiors (une entreprise de rideaux que David Carter avait engagée pour le projet avait informé l’un des photographes du magazine). En peu de temps, le magazine a réalisé des articles sur deux autres de ses projets : une autre de ses maisons (« le quart d’un château » en Normandie) et un cabinet dentaire merveilleusement loufoque situé à proximité, dans la ville portuaire de Cherbourg. Ce dernier présentait une corniche décorée de dents en trompe-l’œil et un papier peint en grisaille orné d’instruments médicaux. L’article qui lui était consacré s’intitulait judicieusement « Driller Thriller » (suspense sous la fraise).
Aujourd’hui, David Carter décrit son style comme « le luxe pour ceux qui aiment vivre dangereusement » et affirme que la plupart de ses clients ne prennent même pas la peine de dresser un cahier des charges : « ils veulent simplement quelque chose de différent ».
C’était le cas de ses clients de Holland Park, qui avaient découvert son travail dans la presse, mais chacun d’entre eux souhaitait un genre de différence différent. « Ils sont diamétralement opposés », confesse David Carter à propos du couple, un Autrichien et une Brésilienne, parents de deux jeunes garçons. « Il aime que tout soit blanc, un peu de noir, un peu de doré, mais très masculin. Elle aime qu’il y ait beaucoup de couleurs, de motifs, des papillons et des fleurs. »
À un certain moment, il a pensé s’inspirer d’une maison du XVIIIe siècle en Irlande du Nord, appelée Castle Ward, qui appartient aujourd’hui au National Trust. « Elle appartenait à Lord et Lady Londonderry, qui ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur le style de décoration », raconte David Carter. « Ils ont conclu un accord très amical selon lequel une ligne a littéralement été tracée au centre de la maison : une moitié est donc néoclassique, l’autre gothique comme à Strawberry Hill », explique-t-il, en faisant référence au style de la villa d’Horace Walpole, construite en 1749 à Twickenham, à Londres.
En fin de compte, l’exubérance brésilienne de madame a largement prévalu, son mari ayant droit à quelques espaces plus calmes, notamment un bureau au rez-de-chaussée, élégamment masculin, et la chambre principale, plus discrète. Dans le reste de la maison, David Carter n’a pas ménagé ses efforts, déployant un joyeux mélange de tissus aux motifs audacieux, de chinoiseries avec du papier peint de Gournay et de lustres aux allures de bijoux.
Le vestibule donne le ton. « J’ai toujours adoré concevoir des vestibules », précise David Carter. « Cela crée un instant magique lorsqu’on ouvre la porte. C’est comme dans Narnia. Vous êtes immédiatement transportés dans un autre monde. » Les visiteurs sont accueillis par une statue d’Apollon de trois mètres de haut datant du XVIIIe siècle, située au pied de l’escalier principal de la maison, et par une peinture très chargée de l’artiste français Adolphe Lalyre, achetée à la Galerie de Souzy, que David Carter décrit comme « une sorte de ribambelle de nymphes aquatiques nues, couchées de manière légèrement lascive ».
Des touches théâtrales similaires se retrouvent ailleurs, notamment un ciel en trompe-l’œil peint par la décoratrice londonienne Timna Woollard sur le plafond du salon et les imposants fauteuils de style William et Mary qui se trouvent en dessous.
« On peut les imaginer dans la maison d’une star de cinéma des années 30 », remarque David Carter, qui a retapissé ces fauteuils dans un velours ciselé de Tassinari & Chatel. « Ce sont comme des trônes de pape. »
Un tissu encore plus saisissant, un coton de style chinois de Voutsa aux couleurs vibrantes appelé Mimi, a été choisi pour retapisser un fauteuil pivotant vintage de Sede, de Sasha Bikoff Interior Design, dans une sorte de boudoir adjacent à la chambre principale. L’espace abrite également un tourniquet personnalisé sur lequel sont rangées les nombreuses paires de chaussures de madame, souvent multicolores. « C’est extrêmement lourd, une pièce d’ingénierie étonnante », s’émerveille David Carter.
L’une de ses pièces préférées se trouve au dernier étage, une chambre d’amis dans laquelle il a placé un lit de style Louis XV surmonté d’un baldaquin français en métal doré du XIXe siècle. Il a fait revêtir les murs de planches de pin canadien, un clin d’œil aux racines autrichiennes de monsieur. « C’est une sorte de chambre de princesse avec un côté conte de fées des alpages. C’est exactement le type de travail que j’adore », précise David Carter. « Cela comporte un côté ludique. »
Maintenant que le projet est terminé, David Carter se souvient de sa réticence initiale à accueillir ses clients inattendus. « Je suppose que la morale de cette histoire est que, de temps en temps, la chance frappe vraiment à notre porte », dit-il, songeur. « C’est pourquoi il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! »