7 mars 2021Ellen Hamilton pourrait être l’une des décoratrices d’intérieur les moins dogmatiques que vous n’ayez jamais rencontrée. Avec son agence new-yorkaise Hamilton Design Associates, elle a récemment terminé des projets illustrant toute une variété d’approches, dont une petite maison de plage blanche de Martha’s Vineyard remplie de meubles modernistes, un appartement élégant de Manhattan qui, conformément aux souhaits de ses propriétaires, évoque un palais florentin, et un penthouse de Miami Beach bordé de teck, conçu par les architectes Fairfax & Sammons, qui exprime l’amour de son propriétaire pour les intérieurs thaïlandais traditionnels. Au lieu d’imposer sa propre esthétique à un client, Ellen Hamilton déclare : « Je dirais que je fais de la décoration narrative. Je raconte l’histoire du client. »
Ellen Hamilton a forgé sa philosophie du design grâce à sa collaboration avec l’architecte et créateur Peter Marino et, plus tard, avec l’agence d’architectes Fox & Fowle (désormais FXFowle), qu’elle a quittée pour se lancer à son compte et finir par fonder son agence en 2000. C’est en particulier Peter Marino, se souvient Ellen Hamilton, qui lui a transmis des connaissances, et lui a fait découvrir « que cela pourrait être une passion pour toute ma vie. Cela a tout changé en moi, pour toujours. »
L’histoire que raconte cette décoratrice narrative dans une demeure de Manhattan est un portrait coloré aux nombreuses facettes du couple à qui elle appartient. L’appartement se trouve dans le Kenilworth, un immeuble historique de style Beaux-Arts situé à Central Park West. Il a conservé presque l’ensemble de son architecture d’origine. Pour son projet sur cette structure impeccable, sensiblement polie par l’architecte Jeffery Povero, de Povero & Co., Ellen Hamilton a collaboré étroitement avec la femme du couple, qui adore chiner des antiquités et trouver des tissus ethniques. Elle a trouvé elle-même un grand nombre des meubles qui se trouvent désormais dans l’appartement, après avoir été validés par Ellen Hamilton. « Ellen était l’éditrice », se souvient-elle, « elle approuvait ou refusait les centaines de photos que je lui envoyais. »
Ellen Hamilton a assemblé les pièces validées de manière cohérente, en ajoutant des articles qu’elle a trouvés elle-même ou qu’elle a réalisés sur mesure, avec les œuvres d’art contemporain que collectionne le couple. La décoratrice a précisé avoir joué sur les couleurs et les textures pour unifier des éléments apparemment disparates, principalement en basant la palette de couleurs de chaque pièce sur le tapis ancien qu’elle a disposé au sol.
Parce que son client « voulait garder l’esprit d’un appartement classique de l’Upper West Side », la décoration devait « avoir un lien avec le passé », explique Ellen Hamilton, précisant que « pratiquement tout ce qu’il y a dans l’appartement date de 1860 à 1930, sauf les œuvres d’art ».
L’entrée, qui sépare le salon, la salle à manger et la cuisine des chambres, « doit être fonctionnelle », décrit Ellen Hamilton. « La vue sur le parc depuis la fenêtre vous situe. » Elle ajoute qu’en outre, l’espace « permet de mettre en valeur des œuvres d’art et de beaux tapis ».
Deux kilims sont étendus sur le sol, tandis qu’une reproduction d’une table italienne du XVIIe siècle est installée sous un miroir du XIXe siècle de chez Carlos de la Puente Antiques. Le tout est éclairé par un luminaire Art déco au plafond trouvé chez Woka Gallery. À l’autre extrémité de la pièce, une grande peinture de Wayne Gonzales est accrochée à côté d’une autre œuvre de Paolo Ventura, au-dessus d’un coffre ancien de chez Daniel Stein Antiques.
Pour la décoration du salon, Ellen Hamilton est partie d’un tapis Laver Kirman du XIXe siècle trouvé par sa cliente. « Je suis venue avec mon nuancier Pantone et j’ai conçu la palette de la pièce en me basant sur le tapis », dit-elle, en précisant qu’il « a beaucoup de gris, alors j’ai élevé la saturation et enlevé le gris de ses tons or, noir et baie ».
Les murs peints avec la couleur Radicchio de Farrow & Ball mettent en valeur les meubles colorés, dont un canapé recouvert de velours jaune doré, qui est installé sous un grand paysage peint au fusain par April Gornik. Face au canapé se trouve une table basse en verre et cuivre des années 1960 réalisée par Guy Lefèvre pour Maison Jansen, trouvée chez Vintage Objects. Elle est entourée de deux fauteuils tapissés aux motifs audacieux. Pour Ellen Hamilton, la pièce a « un petit esprit édouardien. C’est un endroit où s’installer pour savourer un cocktail en profitant de la compagnie des autres ».
Dans la salle à manger, dont l’apparence est décrite par la décoratrice comme « une rencontre entre les styles seigneuriaux italien et hollandais », un lustre viennois en verre et en cuivre des années 1920 de chez Kerson Gallery et deux lampadaires fabriqués à partir de morceaux de colonne en noyer du XVIIIe siècle mettent subtilement en valeur le lambris en chêne d’origine au ton miel, qui a été restauré par Christopher Anigacz, de Double Queue Restoration. (Les éléments qu’il n’était pas possible de restaurer ont été remplacés par des pièces effet bois peintes par Emma Tapley.) Une reproduction d’une table italienne ancienne est entourée par des chaises espagnoles du début du XXe siècle.
La salle de télévision, aux murs peints en Inca Gold, une couleur Pantone, est dotée d’un luminaire Triple Angle conçu par le designer contemporain Michael Anastassiades au plafond, tandis qu’un autoportrait de Vik Muniz est accroché au-dessus d’un canapé sur mesure recouvert d’un velours côtelé Holland & Sherry au ton rouille et orné de coussins John Derian disposés çà et là. « Il n’y a rien de mieux qu’un canapé en velours côtelé et à l’aspect désordonné », lance malicieusement Ellen Hamilton, expliquant que la décoration contraste délibérément avec l’élégance du salon et de la salle à manger. « C’est une très petite pièce, et je voulais la rendre accueillante et chaleureuse. »
Pour « faire bouger un peu les choses » par rapport aux tons plus chauds utilisés partout ailleurs, Ellen Hamilton a peint les murs de la chambre dans un ton bleu vif Belvedere Blue de Farrow & Ball. Ce fond au ton marqué met en valeur deux impressions d’Alex Katz, ainsi que la célèbre affiche Parade réalisée en 1981 par David Hockney pour le Metropolitan Opera. Une tapisserie graphique de Viso Project recouvre la tête de lit, tandis que sur le pied du lit se trouve un tissu du début du XXe siècle, probablement turc d’après Ellen Hamilton, d’Andrianna Shamaris. Non loin de là, une petite table Biedermeier de Newel est installée à côté d’un fauteuil bobine ancien.
La chambre parentale à l’atmosphère paisible, comme le reste de l’appartement, a un côté à la fois simple et luxueux. Ellen Hamilton utilise l’expression « trade route decorating » (décoration d’importation) pour décrire la juxtaposition de tissus africains de Joseph Carini Carpets, sur le lit, avec les étoffes d’inspiration indienne utilisées pour tapisser la tête et la jupe de lit. À l’angle est accroché un autre paysage en fusain de Gornik au-dessus d’un fauteuil en velours tufté.
À l’extrémité opposée de la pièce, une œuvre de Wayne Gonzales est accrochée au-dessus d’une commode, et un pouf Art moderne de chez Gottlieb Gallery est installé à côté d’une méridienne. Ellen Hamilton appelle la couleur de la pièce, peinte dans le ton Golden Gate, d’après le célèbre pont, de Benjamin Moore, « primer red » (rouge primaire), car les pigments minéraux des apprêts sont similaires à ceux des tapis de l’appartement.
Fidèle à son approche universelle, Ellen Hamilton travaille actuellement sur une maison de Windsor, en Floride. (Son agence ne compte que trois personnes, et en tant qu’unique décoratrice, elle ne s’occupe que d’un projet à la fois.) Les intérieurs auront un thème italien moderne avec des sols sur mesure en terrazzo et des meubles de célèbres créateurs du XXe siècle, de Osvaldo Borsani, Giò Ponti et Piero Portaluppi à Gae Aulenti, Gabriella Crespi, Piero Fornasetti et Aldo Rossi.
Elle doit beaucoup à son ancien patron Peter Marino qui lui a transmis « la passion pour toute l’histoire des arts décoratifs, chaque période, chaque style, chaque couleur ». Cela lui permet, précise-t-elle, d’« aider les clients à se concentrer sur ce qui leur correspond. Je peux donner aux clients ce qu’ils veulent, mais en mieux. »