![Charles Leslie et Fritz Lohman, photographiés ici en 1970 environ, sont les fondateurs du Leslie-Lohman Museum of Art](https://www.1stdibs.com/introspective-magazine/wp-content/uploads/2022/05/portrait.jpg)
1er juin 2022Quand Charles Leslie et Fritz Lohman ont invité pour la première fois le public à venir admirer leur collection d’art dans leur loft de Soho, en 1969, ils risquaient une amende, voire même une arrestation. La plupart des œuvres étaient ouvertement homoérotiques et les lois sur l’obscénité étaient toujours utilisées pour censurer et avoir le contrôle sur la population gay et lesbienne de New York. Les visiteurs ayant été beaucoup plus nombreux que prévu (un écart de plusieurs centaines de personnes), la nécessité d’ouvrir un espace artistique dans la ville est devenue évidente.
Un mois plus tard, ils se sont retrouvés à l’aube d’une nouvelle ère, alors que les émeutes de Stonewall lançaient le mouvement de libération des gays. Mais le monde de l’art restait très frileux envers l’homosexualité et continuait à rejeter les artistes que Charles Leslie et Fritz Lohman connaissaient et dont ils collectionnaient les œuvres.
Ils ont donc ouvert une galerie dans un sous-sol de Prince Street afin d’exposer leur collection toujours plus importante d’œuvres réalisées par des artistes gays comme Neel Bate, George Platt Lynes, Jack Shear et Andy Warhol. (Le couple a également joué un grand rôle dans la transformation de Soho qui est passé d’un quartier commerçant à une zone résidentielle, et dans la conservation d’un grand nombre de ses bâtiments historiques en fonte.)
En 1990, ils ont créé la Leslie-Lohman Gay Art Foundation, une association à but non lucratif. Non sans mal, car il n’y avait jamais eu de fondation dont le nom comportait le mot « gay ». En 2006, la galerie a déménagé dans un local au rez-de-chaussée du 26 Wooster Street, son adresse actuelle. Cet espace, qui s’appelait alors le Leslie-Lohman Museum of Gay and Lesbian Art et maintenant, tout simplement, le Leslie-Lohman Museum of Art, est toujours le seul musée d’art au monde dédié aux artistes LGBTQ+.
Ce mois-ci, 1stDibs apporte sa contribution en proposant à la vente des œuvres d’art, des bijoux, des vêtements et des meubles de notre collection des fiertés.
Les temps ont changé depuis que Charles Leslie, un investisseur immobilier, et Fritz Lohman, un décorateur d’intérieur, ont commencé à faire une place aux artistes gays. Le monde de l’art fait maintenant une place aux créateurs LBGTQ+ et se montre bien plus ouvert par rapport à l’homosexualité. Cette évolution a permis au musée d’accroître sa visibilité et son impact, et de s’imposer en tant qu’institution d’art contemporain ambitieuse et rigoureuse tout en proposant un espace à ceux qui sont en marge.
Ces dernières années, l’institution a connu plusieurs premières. En 2016, elle a obtenu son accréditation en tant que musée et a embauché son premier directeur exécutif, Gonzalo Casals (qui a été par la suite délégué au New York City Department of Cultural Affairs).
Elle a retiré « Gay and Lesbian » de son nom en 2019, montrant ainsi sa volonté d’inclure l’art et les artistes queer et gender fluid, et a embauché sa première conservatrice en chef, Stamatina Gregory. Et l’année dernière, le Leslie-Lohman Museum of Art a nommé sa première directrice exécutive, Alyssa Nitchun, qui a passé sept ans chez Creative Time, une organisation qui produit des installations artistiques publiques avant-gardistes et engagées socialement dans toute la ville de New York.
![Aimée Chan-Lindquist (à gauche), la directrice des affaires externes du Leslie-Lohman, et la directrice exécutive Alyssa Nitchun devant une installation composée de 30 portraits intitulée Face Art, datant de 1983, de Lorenza Böttner](https://www.1stdibs.com/introspective-magazine/wp-content/uploads/2022/05/38907_KBE_FirstDibs_002_03.jpg)
« Le Leslie-Lohman est un lieu d’expérimentation, de subversivité, de possibilités et d’imagination », explique Alyssa Nitchun. « Mais je veux aussi qu’il soit pris au sérieux en tant qu’institution. »
Maintenant que l’homosexualité est de plus en plus présente dans notre société et que de plus en plus d’artistes LGBTQ+ trouvent leur place dans la scène artistique internationale, certains peuvent se demander s’il est toujours nécessaire d’avoir un musée comme le Leslie-Lohman.
« Certes, la communauté artistique a évolué, et on voit davantage d’artistes LGBTQ+ dans les musées et les galeries, mais le Leslie-Lohman nous est exclusivement réservé », explique Dave Harper, le directeur exécutif du New York City AIDS Memorial. « Il a pour vocation de prendre des risques en dehors du marché, en dehors de ce qui a de la valeur commerciale, en dehors des superstars de l’art. »
D’ailleurs, le Leslie-Lohman présente actuellement la première exposition aux États-Unis des œuvres de Lorenza Böttner, une performeuse, peintre et danseuse allemande transgenre qui a perdu ses deux bras quand elle était jeune et s’est consacrée depuis à son côté créatif. Elle est morte en 1994 de complications liées au VIH.
![Pièces historiques issues de la collection du musée et photos d'archives du loft de Soho de Charles Leslie et Fritz Lohman (en haut à gauche et en bas à droite), où le couple a présenté sa première exposition artistique.](https://www.1stdibs.com/introspective-magazine/wp-content/uploads/2022/05/oldarchival_collage.jpg)
« C’est une artiste dont les œuvres n’ont encore jamais été présentées aux États-Unis, qui n’a pas fait partie du canon historique de l’art, qui n’est pas dans les collections mais qui illustre cette intersection vaste et intemporelle, et cette multiplicité des identités. Et elle a fait du très bon travail », ajoute Alyssa Nitchun. « C’est le genre de contribution très spécifique qui est tout à fait dans l’esprit du Leslie-Lohman. »
Ces dernières années, le musée a également exploré les interactions entre différentes identités marginalisées, dont l’homosexualité, la communauté raciale et le handicap. L’année dernière, par exemple, il a organisé la première rétrospective complète de la photographe lesbienne chicana d’avant-garde Laura Aguilar, qui ne cachait pas son combat contre sa maladie mentale.
« Nous jouons le rôle de catalyseurs et nous redéfinissons le rôle d’une institution culturelle dédiée à ces différentes intersections. Nous voulons aussi montrer comment nous parlons de la validité, du handicap, de la communauté transgenre, et comment nous rassemblons toutes ces communautés », explique Aimée Chan-Lindquist, la directrice des affaires externes du musée.
« Le MoMA expose les œuvres de ces artistes, mais s’il y a un sexe masculin sur l’une d’entre elles ou une expression de la sexualité, elles ne seront pas accrochées au mur. »
En plus d’apporter plus de rigueur au programme d’expositions, Alyssa Nitchun et son équipe (qui inclut plusieurs personnes occupant des postes créés récemment, dont le directeur de l’engagement et de l’inclusion J. Soto et Aimée Chan-Lindquist) ont développé une politique d’acquisitions basées davantage sur les groupes et les artistes d’aujourd’hui qui sont sous-représentés dans la collection.
Dans le cadre de cette stratégie, ils ont lancé un nouveau programme nommé Interventions, qui accorde des subventions aux artistes contemporains afin de rechercher et de collaborer sur des œuvres pour le musée. Avec la première, qui est prévue pour l’hiver 2023, le photographe, documentaliste et performeur Coyote Park, un artiste transgenre né à Honolulu et habitant Los Angeles (qui a des ancêtres coréens, yuroks et européens) remet en scène des œuvres homoérotiques des années 1990 d’artistes comme Yiannis Nomikos et Li Ming Shun.
Les acquisitions de l’année dernière reflètent l’approche de plus en plus audacieuse et ambitieuse du musée dans la constitution de sa collection. Parmi elles figurent des œuvres de Jonathan Lyndon Chase et Jeffrey Gibson, deux noms qui devraient être familiers pour les amateurs d’art contemporain, ainsi qu’une pièce majeure de l’artiste transgenre Cassils.
![Extrait vidéo de la performance de Lorenza Böttner à New York en 1986, Let me live](https://www.1stdibs.com/introspective-magazine/wp-content/uploads/2022/05/38907_KBE_FirstDibs_003_05.jpg)
L’installation de Cassils se compose d’une boîte en verre comportant plusieurs centaines de litres d’urine, installée sur un piédestal et accompagnée des récipients utilisés pour recueillir et stocker le fluide. L’artiste a créé cette œuvre en réponse à l’annulation par l’administration Trump de la circulaire émise par Barack Obama qui autorisait les étudiants des écoles publiques à utiliser les toilettes correspondant à leur identité de genre. L’œuvre présente des difficultés d’ordre logistique concernant son exposition, son entreposage et sa conservation, mais Alyssa Nitchun ne se laisse pas décourager. « Si le Leslie-Lohman ne peut pas accueillir cette pièce, quel autre endroit peut le faire ? », demande-t-elle.
« En termes d’acquisitions et de collections, nous devons être le lieu susceptible de présenter des œuvres qui ne le seraient pas ailleurs », ajoute Aimée Chan-Lindquist. C’est le fil conducteur du musée depuis son origine. Charles Leslie et Fritz Lohman avaient un goût pour l’art assez particulier. L’appartement de Soho qu’ils partageaient est toujours recouvert d’images incluant des pénis. (Charles Leslie a 88 ans et Fritz Lohman est décédé en 2010 à l’âge de 87 ans.)
Pendant la crise du sida dans les années 1980, la constitution de leur collection prit une tournure encore plus urgente et activiste, alors qu’ils sauvaient des centaines d’œuvres dont les artistes étaient décédés.
![Montage des programmes publics et des événements spéciaux du Leslie-Lohman au fil des années.](https://www.1stdibs.com/introspective-magazine/wp-content/uploads/2022/05/LLM_Archival_Collage-1400x778.jpg)
« Ils recevaient sans cesse des appels : « Untel est décédé, et sa famille est en train de brûler ses œuvres. » C’est là où la constitution de la collection a vraiment commencé », relate Alyssa Nitchun. « Certains peuvent reprocher au musée d’être trop rigide en se focalisant uniquement sur une culture des hommes blancs gays cisgenres. Mais d’un autre côté, il faut aussi vraiment comprendre qu’il s’agissait d’un refuge et d’un sanctuaire pour une communauté qui s’est unie pour des raisons complexes. »
Au fil des années, la collection s’est agrandie pour atteindre plus de 30 000 objets, dont des pièces d’artistes réputés dans les cercles LGBTQ+ comme Mariette Pathy Allen, Donna Gottschalk, Jimmy DeSana, Hugh Steers et Eric Rhein. Mais il y a aussi un grand nombre de noms célèbres.
![Self-portrait with Brendan, Carlos, and Jorge, 2017, de Camilo Godoy, présenté dans l'exposition « OMNISCIENT: Queer Documentation in an Image Culture » en 2021–22](https://www.1stdibs.com/introspective-magazine/wp-content/uploads/2022/05/CamiloGodoy_Billboard_web.jpg)
« Nous avons des Warhol, des Mapplethorpe et des Keith Haring, mais les nôtres sont bien plus représentatifs de notre sexualité », explique Michael Manganiello, président du conseil d’administration du musée. « Le MoMA expose les œuvres de ces artistes, mais s’il y a un sexe masculin sur l’une d’entre elles ou une expression de la sexualité, elles ne seront pas accrochées au mur. Dans ces musées, nos vies sont coupées au montage. C’est pourquoi le Leslie-Lohman est si important. »
En 2019, Michael Manganiello a annoncé qu’il fera un don au musée de 500 000 $ et de sa collection de plus de 150 objets, dont des œuvres de Peter Berlin, Mark Morrisroe, Jack Pierson et Tyler Udall.
![](https://www.1stdibs.com/introspective-magazine/wp-content/uploads/2022/05/38907_KBE_FirstDibs_003_09-1200x1400-1.jpg)
Alyssa Nitchun et son équipe explorent aussi d’autres possibilités pour collecter des fonds. L’année dernière, ils ont collaboré avec la ville de New York sur un projet de rénovation majeur, qui a commencé sous la houlette de l’ancien directeur exécutif Gonzalo Casals et qui vient juste de passer à la phase de mise en œuvre. Cela permettra au musée de restaurer sa façade historique et de doubler son espace d’exposition. Ils ont également reçu des subventions pour rénover d’autres éléments comme le catalogue et la numérisation des nombreuses archives et de la collection d’art du musée.
Outre ces projets et la collaboration avec 1stDibs, ils ont créé un partenariat avec Gucci sur une série d’entretiens avec des icônes gay dans le cadre du mois des fiertés et viennent de recevoir des fonds de la Ford Foundation pour les programmes destinés aux homosexuels porteurs d’un handicap.
« Nous allons vers une certaine rigueur professionnelle concernant les objectifs que nous souhaitons atteindre pour le musée. C’est comme si nous étions passés à l’âge adulte », précise Alyssa Nitchun. « Nous voulons nous inscrire dans la durée. »