4 septembre 2022Alors que la décoratrice française Caroline Sarkozy étudie à la Parsons School of Design de New York, l’une de ses grand-mères lui arrange une entrevue avec le légendaire décorateur d’intérieur italien Renzo Mongiardino en vue d’un stage d’été. La rencontre, dans l’appartement du maître à Milan, la laisse « pétrifiée », se souvient-elle.
« Ses volets étaient fermés et la pièce plongée dans l’obscurité. Il m’est apparu grandiose, avec sa grande barbe blanche et sa voix profonde. Je me suis sentie tellement peu de chose », explique Caroline Sarkozy. « Aujourd’hui encore, je m’en veux d’avoir laissé échapper une telle occasion. »
Mais cela ne l’empêchera pas de connaître la carrière réussie qu’on lui connaît. Elle apprend le métier auprès de Mark Hampton et d’Andrée Putman, puis crée sa propre entreprise en 1998. Depuis, elle travaille sur différents projets, qui l’emmènent de Londres à Aspen, des Bahamas au Moyen-Orient.
Au fil du temps, elle développe une relation professionnelle rapprochée avec l’architecte Laurent Bourgois. Il leur arrive encore maintenant de réaliser des projets distincts à travers leurs entreprises respectives, situées à deux pas l’une de l’autre dans le 11e arrondissement de Paris, à l’est de la place de la Bastille. Mais ils consacrent la plupart de leur temps sur les commandes de l’entreprise qu’ils ont créée ensemble, CSLB Studio.
Il n’est pas aisé de déterminer précisément la part de l’un et de l’autre dans ces collaborations.
« Il ne s’agit pas de faire appel à l’architecte pour superviser les travaux de construction et à la décoratrice d’intérieur pour choisir les tissus », explique Laurent Bourgois. « Nos équipes travaillent ensemble, du début à la fin. Il m’arrive de donner mon avis sur le choix de rideaux et Caroline peut, à son tour, donner le sien sur la façon de modifier la structure d’un appartement. »
Si les deux créateurs partagent la même exigence pour la qualité, l’attention aux détails et la rigueur et l’organisation, leur sensibilité esthétique diffère quelque peu. Caroline Sarkozy affiche des goûts contemporains, alors que Laurent Bourgois entretient une vive passion pour la France du XVIIIe siècle.
Leur portfolio comporte ainsi des projets de styles bien différents, oscillant, selon Laurent Bourgois, entre le « château extrêmement classique » et les « appartements décorés à l’aide de meubles du XXe siècle dans l’esprit de Jean Royère ».
Les deux créateurs se sont rencontrés en 2000 par l’intermédiaire d’une connaissance commune. Laurent Bourgois affirme avoir volé un projet à Caroline Sarkozy à Paris, mais celle-ci rappelle avec insistance qu’elle avait refusé ce projet. « Je vivais à Londres à cette époque et la distance me semblait difficilement conciliable », explique-t-elle.
Plusieurs années après son retour dans la capitale française, Caroline Sarkozy est approchée par un oligarque russe pour travailler sur un projet démesuré à proximité de Moscou. Elle décide alors de demander à Laurent Bourgois de lui prêter main-forte.
Si la commande ne verra finalement pas le jour, leur voyage mouvementé vers la capitale russe leur aura permis de sceller leur amitié. Ils se souviennent encore d’un dîner durant lequel on leur servit des plateaux chargés de caviar et de diamants, sous la surveillance d’une escorte policière.
Ce n’est que cinq ans plus tard qu’ils travaillent finalement ensemble, d’abord dans un appartement de 600 mètres carrés sur la prestigieuse avenue Montaigne à Paris, ensuite dans une grande maison en bord de mer en Normandie.
Laurent Bourgois, de son côté, étudie l’architecture à l’École des Beaux-Arts de Paris, puis se consacre pendant plusieurs années à la conception de programmes résidentiels dans des quartiers peu prestigieux. Au milieu des années 1980, une connaissance qui travaillait comme architecte sollicite son aide pour participer à un projet plus chic : l’hôtel particulier de feu Hubert de Givenchy, rue de Grenelle à Paris. Laurent Bourgois lui prête main-forte pour réaliser la commande et, quelques années plus tard, crée sa propre entreprise spécialisée dans les intérieurs de haut standing.
Quant à Caroline Sarkozy, difficile de l’évoquer sans parler de sa famille. Elle est la demi-sœur de l’ancien président Nicolas Sarkozy et son frère Olivier est l’ancien mari de Mary-Kate Olsen, actrice devenue un grand nom de la mode. Née en France, elle déménage aux États-Unis à l’âge de neuf ans, après le mariage de sa mère avec le diplomate américain Frank G. Wisner.
Pendant son enfance, Caroline Sarkozy fut particulièrement impressionnée par les maisons de ses grand-mères. « Elles travaillaient toutes deux avec des décorateurs et je prenais part aux réunions avec elles », se souvient-elle.
La mère de sa mère, Marie-Hélène de Ganay, avait une maison à Paris remplie de meubles français du XVIIIe siècle et d’œuvres d’artistes comme Georges Braque et Christian Bérard. La mère de Frank G. Wisner, Polly Fritchey, une mondaine de Washington, possédait une grande maison à Georgetown. Aujourd’hui, leur influence ressort clairement dans son amour profond des objets. « Je vois de la beauté dans toute chose », déclare-t-elle. « Je peux tomber amoureuse d’une crédence scandinave comme d’un objet d’Océanie. »
Les propriétaires d’un appartement dans le quartier londonien de Chelsea (l’une des dernières commandes passées à Caroline Sarkozy et Laurent Bourgois) manifestent une passion similaire. « Lui, en particulier, adore les objets », explique Caroline Sarkozy. « Sur son bureau, il y a à peine de la place pour une feuille de papier. »
Le projet consistait principalement à organiser la collection d’œuvres d’art et de meubles des clients, dont un sofa Kaare Klint et deux FAUTEUILS FRITZ HANSEN (qui ont finalement trouvé place dans le salon), un fauteuil Hans Wegner (bureau), ainsi qu’un lustre et des appliques assorties du fondateur d’Arteluce, Gino Sarfatti (salle de bains principale).
Les créateurs ont introduit plusieurs touches sur mesure, comme la marqueterie de paille du salon, la table d’appoint en laiton et la cheminée au carrelage cadencé, dont le motif géométrique s’inspire des sols des églises italiennes. « J’ai passé beaucoup de temps à les étudier », explique Caroline Sarkozy, « et vous retrouverez souvent ces motifs dans nos projets ».
Un jeu similaire sur les motifs se retrouve dans les carreaux rectangulaires blancs et gris de l’une des salles de bains d’une grande maison de style méditerranéen à Miami. Parmi les articles que se sont procurés Caroline Sarkozy et Laurent Bourgois pour la maison (à laquelle ils ont collaboré avec l’architecte américain Brian O’Keefe) se retrouvent deux appliques Royère, un lustre Patrice Dangel et une table à manger George Nakashima.
Comme dans tous leurs projets, ils introduisent toujours certains éléments pour bouleverser l’équilibre. Et le plus notable, sans aucun doute, est une sculpture en porcelaine totémique d’Ai Weiwei, faite de vases bleu et blanc empilés. L’œuvre monte la garde au pied de l’escalier principal.
Le salon comporte également un bar des années 1950 orné d’un motif tourbillonnant multicolore en papier-parchemin, et le plafond de l’un des couloirs est peint avec des dizaines de carrés en différents tons pastel.
« Je m’ennuie dans des intérieurs trop homogènes », explique Caroline Sarkozy. « Vous devez toujours ajouter un élément légèrement décalé. »
Caroline Sarkozy cherche toujours à ce que chaque objet qu’elle sélectionne ait une forte présence. Et c’est exactement le cas dans sa propre maison, un appartement de trois chambres surplombant la Seine.
Une magnifique crédence en frêne de l’architecte suédois du XXe siècle Ernst Spolén domine le vestibule, alors que dans le salon, c’est la table d’appoint qui attire l’œil, créée expressément pour Caroline Sarkozy par Hubert Le Gall il y a 22 ans, et dont elle ne s’est jamais séparée. « Lorsqu’un objet est bien conçu, vous ne vous en lassez jamais », explique-t-elle.
Autre objet favori de la décoratrice, la table à manger extensible Janette Laverrière noir et blanc, avec son plateau en Formica et son revers en merisier lasuré. « Vous pouvez y poser des casseroles chaudes », explique-t-elle. « J’aime sa double fonction, pratique et esthétique. »
Mais la pièce qu’elle porte véritablement dans son cœur est sans aucun doute le sofa Napoléon III dont elle a hérité de sa grand-mère française.
« Je me dis souvent que je devrais le remplacer », explique-t-elle, « mais je ne le fais pas. Je l’aime tellement ! »