12 juin 2022Glenn Gissler met presque deux heures pour aller en voiture de son appartement de Brooklyn Heights à sa résidence secondaire au nord-ouest du Connecticut. Il a donc des raisons d’envier ses clients, un banquier d’investissement, sa femme et leur petite fille, qui vivent dans un loft de Lower Manhattan. Pour se rendre dans leur résidence secondaire de Nyack, dans l’État de New York, il ne leur faut que 45 minutes. Et cela inclut la traversée du fleuve Hudson, sur lequel donnent l’appartement et la maison de campagne, de chaque côté.
Il y a neuf ans, lorsqu’ils ont acheté leur appartement de Manhattan, le couple a demandé à Glenn Gissler d’en décorer l’intérieur, notamment en les aidant à se constituer une collection d’œuvres d’art expressionniste abstrait. Trois ans plus tard, lorsqu’ils ont commencé à chercher une résidence secondaire, ils ont pris conseil auprès de lui. Après quelques faux départs, le couple a trouvé une maison récemment construite de style néocolonial et Shingle, dont la partie la plus large fait face au fleuve. L’architecte David Neff avait ajouté à cette demeure de 480 m² des détails traditionnels tout en créant des intérieurs ouverts et lumineux.
« Les pièces sont bien proportionnées, sans être trop grandioses », explique Glenn Gissler. Et son emplacement est idéal. Il nous explique en effet que la maison est située suffisamment haut pour offrir une vue spectaculaire sur le fleuve Hudson et suffisamment bas pour avoir l’impression d’être près de l’eau.
Une fois que le couple l’a achetée, Glenn Gissler a aménagé son intérieur avec un mélange astucieux de meubles anciens et nouveaux, dont beaucoup proviennent d’Europe. « La maison a un style très américain sans faire Americana », explique le décorateur qui a étudié l’architecture et les Beaux-Arts à l’École de design de Rhode Island (RISD), puis a travaillé pour un architecte (Rafael Viñoly) et un décorateur d’intérieur (Juan Montoya) avant de se mettre à son compte en 1987.
Glenn Gissler emmène Introspective faire une visite de la maison, pour laquelle il a collaboré avec un décorateur senior, Craig Strulovitz, diplômé de la même école.
ENTRÉE
« Nous voulions créer un espace où faire une pause avant d’aller dans le reste de la maison, qui s’ouvre sur le fleuve », explique Glenn Gissler. Pour s’y prendre, il a accordé autant d’attention à l’entrée qu’aux autres pièces de la maison.
Deux chaises de style Chippendale chinois datant des années 1940 de Johan Tapp attirent le regard et rappellent les meneaux de l’imposte vitrée et le garde-corps qui entourent cet espace à double hauteur.
Les décorateurs ont peint le couloir allant de l’entrée à la cuisine dans un bleu très profond. Les surfaces sombres ont tendance à s’effacer, précisent-ils, ce qui rend cet espace étroit plus grand qu’il paraît. Les murs peints sont recouverts d’imprimés célestes vintage qui différencient l’entrée des autres pièces à l’aménagement très terrestre.
SALON
Glenn Gissler a appliqué aux pièces baignées de lumière du rez-de-chaussée une palette de « bleu et de son cousin du cercle chromatique, le vert », pour rappeler les pelouses et le fleuve derrière les portes-fenêtres. Les tons plus doux, plus « calcaire », apportent un contraste aux blocs de couleurs intenses. Les fauteuils réunissent les deux : un dossier bleu uni qui rappelle les tentures de la pièce et un motif en impression cachemire devant. (La table d’appoint en bronze installée entre les fauteuils est d’Hervé Van der Straeten.)
Le tapis au motif grillagé conçu par Glenn Gissler apporte une simplicité soigneusement pensée. Il en est de même pour le lustre Arctic Pear, nommé ainsi à cause de la forme de ses pampilles en verre transparent, qui domine la pièce. Il est accroché au-dessus d’une table basse sur mesure recouverte de lin et entourée de tables d’appoint associant des motifs classiques à une finesse contemporaine. Sur les tables sont posées des lampes vintage en vernis craquelé et au pied cannelé.
« La maison est si proche de New York que nous voulions donner l’impression d’être dans un complexe hôtelier lointain », explique Craig Strulovitz au sujet du choix de meubles à la forme fuselée et de tissus aux tons décolorés par le soleil.
« J’aime utiliser des meubles qui donnent envie d’entrer dans la pièce », ajoute Glenn Gissler. À une extrémité du salon, il a installé une méridienne au lieu d’un canapé avec dossier, pour ne pas bloquer la vue sur la cheminée. « C’est bien qu’il y ait des endroits pour reposer l’œil », explique-t-il. La peinture accrochée au-dessus du manteau est de Richard Pousette-Dart (Untitled (Radiance), 1969–70). « L’art est la chose la plus importante dans tous les intérieurs », déclare Glenn Gissler, faisant remarquer que la surface du tableau de Richard Pousette-Dart est « lumineuse, riche, profonde et ravissante ».
L’autre extrémité du salon est dominée par The Studio, un tableau peint en 1952 par Yvonne Thomas, une artiste du mouvement de l’expressionnisme abstrait qui a connu un succès à titre posthume. C’est l’une des premières peintures que le couple a achetées, se souvient Glenn Gissler, et « elle nous a donné une idée de la palette de couleurs de l’espace », en particulier les bleus gris utilisés dans toute la pièce.
Sous la peinture se trouve un coin salon à l’esprit détendu avec un canapé sans accoudoirs. Les chaises et la table basse en bois viennent de France. Glenn Gissler apprécie la forme de leurs pieds, pour leur style qu’il trouve décontracté. Il aime aussi le fait qu’il soit difficile de dater les pièces. Lesquelles sont vintage et lesquelles sont récentes ?
SALLE À MANGER
Les dossiers incurvés des chaises forment ici comme une vague, remarque Glenn Gissler, qui évite de mettre des chaises aux bouts des tables à manger car, d’après lui, « cela fait comme une barrière, une clôture qui entoure la table ». Il a également choisi d’accrocher trois luminaires identiques au-dessus car cela « donne plus d’animation qu’une seule grande pièce au milieu ».
Mais l’élément le plus important de la pièce reste l’enfilade en chêne des années 1940 de Charles Dudouyt, achetée chez FCK Paris New York. « J’aime ce meuble pour sa robustesse », précise Glenn Gissler. « Il fait le poids que l’on peut associer au mouvement Arts and Crafts américain. » Craig Strulovitz ajoute : « Nous avons aimé le motif graphique et audacieux de la porte. Il a une belle patine et des lignes graphiques nettes. »
La peinture au-dessus de l’enfilade, Landscape No. 2 (1966), est de Hale Woodruff. Au-dessus de la cheminée se trouve une œuvre de Frank Bowling, Winged Creature (2014). Glenn Gissler apprécie le contraste entre les meubles apaisants et les œuvres d’art audacieuses, que l’on retrouve dans toute la maison.
BIBLIOTHÈQUE
La décoration de la bibliothèque ornée de lambris n’essaye pas de s’adapter à la luminosité de l’extérieur. Il y a des tons bleus, mais ils sont grisés afin de conserver l’ambiance tamisée de l’espace. Dans cette pièce, Glenn Gissler a accroché au-dessus d’une table basse vintage un luminaire en bronze et en verre à six branches de Griffith qu’il s’est procuré chez Arteriors. La table d’appoint en laqué noir de la Wiener Werkstätte est une 10 colonnes d’Adolf Loos, fabriquée en Autriche vers 1900. La peinture au-dessus du manteau de cheminée est de Bradley Walker Tomlin (Number 19 (1952–53)).
CUISINE
L’architecte David Neff avait terminé la cuisine avant l’entrée en scène de Glenn Gissler. Mais il a ajouté quelques éléments pour la rendre encore plus spéciale. Parmi eux, une petite peinture sans titre de 1960 réalisée par Franz Kline, installée sur un chevalet, sur le comptoir. (Ne passe pas au lave-vaisselle.)
Craig Strulovitz déclare en outre : « Comme ce n’était qu’une grande cuisine blanche, nous avons essayé de l’adoucir en ajoutant des tabourets et des stores romains dans une palette estivale claire. »
CHAMBRE PARENTALE
« Toutes les pièces de la maison sont classiques », précise Glenn Gissler, indiquant qu’il y a « beaucoup de symétrie, ce qui aide à créer une atmosphère calme. »
La vaste chambre parentale est sans doute la pièce la plus apaisante de toutes, avec ses éléments aux formes douces recouverts de tissus au contraste atténué. Les lampes, cependant, sont plutôt voyantes, avec leur pied en morceaux de cristal de roche assemblés par du grillage. Les coffres gustaviens viennent de chez Scandinavian Antiques et le lustre Supra Bubble de chez Pelle Lighting.
Installé sur le tapis dont le motif fait penser à de l’eau qui ondule et sous le scintillement du lustre et des lampes, le canapé de Lewis Mittman apporte un côté calme et apaisant.
SALLE DE BAIN PARENTALE
La propriétaire souhaitait une salle de bain féminine. Glenn Gissler en a donc fait un boudoir de conte de fée, avec un sol en mosaïques de marbre et un lustre créé par le grand Carlo Scarpa pour Venini dans les années 1960 (de chez Kerson Gallery). Sous le lustre se trouve une console de style gustavien. « Elle a un aspect un peu vieilli », explique Glenn Gissler, faisant remarquer que si l’utilisation de meubles intégrés uniquement peut rendre un espace assez rigide, « la console et la chaise slipper font que la salle de bain ressemble davantage à une vraie pièce ».
CHAMBRE D’AMIS
Dans une grande maison, une palette de couleurs cohérente permet de créer une décoration homogène. Ici, les trois chambres d’amis ont des couleurs et des matériaux que l’on retrouve dès la porte d’entrée : un peu de bleu, un peu de vert et un peu de bois sombre et riche.
Les deux tableaux au-dessus du lit font partie des Cardinations (1974) de l’artiste minimaliste Jo Baer. Ces sérigraphies sur papier fait main encerclent la pièce. La bergère vient de chez Century Furniture, tandis que Glenn Gissler a conçu lui-même la tête de lit tapissée en lui donnant une forme de style colonial. « Je ne dirais pas que la chambre donne un sentiment de détente, car elle est très personnalisée », précise-t-il. « Mais le couvre-lit en coton et le tapis tissé à plat font qu’elle reste simple. »
PISCINE
Après l’emménagement des clients, Glenn Gissler, Craig Strulovitz et le paysagiste Billie Cohen ont imaginé un plan permettant de créer une surface au sol suffisante pour installer la piscine, ce qui impliquait de creuser à flanc de coteau. La volonté d’en faire une piscine à débordement a rendu le projet encore plus complexe. Mais pour certains clients, rien n’est impossible.