Zabriskie Point (Stranger than Paradise) - 6 pièces - 2003
Édition de 10 exemplaires plus 2 épreuves d'artiste.
20x20cm chacun, ensemble avec les espaces 45x70cm.
6 C.C.C. d'archives, d'après 6 polaroïds originaux.
Signé au dos avec certificat.
Inventaire des artistes 625.
Monté sur Dibond avec protection UV mate.
Prêt à être accroché.
publié dans STRANGER THAN PARADISE, hatje cantz verlag, Ostfilder, 2006, (monographie)
LA VIE EST UN RÊVE
(L'univers personnel de Stefanie Schneider)
par Mark Gisbourne
Dès ses premiers travaux de la fin des années 90, on pourrait être tenté de voir dans ses photographies une tentative concertée d'enquête ou de sérialisation analytique ou, mieux encore, une dissection psychanalytique des différents genres particuliers de la sous-culture américaine. Mais ce n'est pas là l'essentiel, car les séries, bien qu'elles aient des dates et des publications ultérieures, restent, dans un certain sens, inachevées. Le travail de Schneider n'a pas grand-chose à voir avec le reportage en tant que tel, mais avec l'enregistrement de la culture humaine dans un état de fragmentation et de dérapage. Et si une photographe comme Diane Arbus s'est intéressée à l'anomalie et à la singularité de la vie suburbaine américaine, le travail de Schneider touche à l'aliénation de la banalité. C'est dire à quel point les stéréotypes banals de l'Americana occidentale ont été vidés, et la revendication de toute signification inhérente qu'ils possédaient autrefois s'est étrangement déplacée. Ses photographies sondent constamment le familier, souvent étroitement lié au genre cinématographique américain traditionnel, et le rendent complètement étranger. Bien sûr, Freud aurait appelé cela simplement l'unheimlich ou l'étrange. Mais là encore, Schneider ne joue presque jamais le rôle du psychologue, ni d'ailleurs ne cherche à donner des significations spécifiques au contenu photographique de ses images. Les œuvres possèdent un récit comportemental édité (elle a fait des choix), mais on n'a jamais l'impression qu'il s'agit d'une histoire clairement définie. En effet, l'incertitude de ma lecture ici présentée, agit comme une mise en garde contre la condition même que les photographies de Schneider provoquent.
Ses récits picturaux ont toujours pour cadre le sud-ouest des États-Unis, le plus souvent le désert et sa périphérie en Californie du Sud. Le désert est un espace difficilement identifiable, et les frontières suburbaines où les habitations rencontrent le désert le sont encore plus. Certains sous-thèmes sont communs à l'œuvre de Schneider, notamment celui du voyage, de la route, du sentiment d'errance et d'itinérance, ou tout simplement de l'absence de but. À côté de cette filiale, des personnages structurels apparaissent continuellement, la station-service, l'automobile, le motel, l'autoroute, le revolver, les logos et les enseignes, le terrain vague, la voie ferrée isolée et la caravane. Si ceux-ci forment une structure vaguement définie dans laquelle s'inscrivent les personnages et les événements humains, Schneider reste toujours le point d'appui et le mécanisme de leur exposition. Utilisant parfois des actrices, des amies, sa sœur, des collègues ou des amants, Schneider se tient prêt à observer les événements fortuits au fur et à mesure qu'ils se déroulent. Et ce, même lorsqu'elle participe devant l'appareil photo à ses romans-photos. C'est la capacité d'attendre et d'ouvrir les choses au hasard et aux circonstances imprévisibles qui marque le développement de son travail au cours des huit dernières années. C'est le moyen par lequel les occurrences aléatoires prennent un sens si révélateur de la grossesse dans son travail.
Cependant, en termes d'analogie, la plus grande proximité avec le travail photographique de Schneider est celle du film. En effet, nombre de ses titres dérivent directement du cinéma, dans des séries photographiques comme OK Corral (1999), Vegas (1999), Westworld (1999), Memorial Day (2001), Primary Colours (2001), Suburbia (2004), The Last Picture Show (2005), et dans d'autres exemples. Ses travaux comprennent également des images particulières intitulées Zabriskie Point, une photographie de sa sœur coiffée d'une perruque orange. Le titre provisoire de la présente publication, Stranger Than Paradise, est d'ailleurs tiré du film du même titre réalisé par Jim Jarmusch en 1984. Il serait toutefois dangereux de pousser cette comparaison trop loin, car sa série 29 Palms (1999) préfigure le titre ultérieur d'un film qui n'est apparu qu'en 2002. Ce que j'essaie de dire ici, c'est que le cinéma constitue le nœud de la culture américaine, et ce n'est pas tant que les photographies de Schneider fassent des références spécifiques à ces films (bien que dans certains cas, elles le fassent), mais qu'en y faisant référence, elle accède à la même culture américaine qui est vidée et examinée par ses romans-photos. En bref, on pourrait dire que ses récits picturaux dépouillent les films des tropes hollywoodiens stéréotypés que nombre d'entre eux possèdent. En effet, les films qui l'ont le plus inspirée sont ceux qui déconstruisent de la même manière le "rêve américain" sentimental et de plus en plus clinquant colporté par Hollywood. Il s'agit de films comme Blue Velvet (1986) de David Lynch, Wild at Heart (1990) The Lost Highway (1997), The Last Seduction (1994) de John Dahl ou de films comme Thelma et Louise de Ridley Scott avec tous ses clichés du type Bonny et Clyde. Mais ils ne servent que de toile de fond, une sorte de tableau générique dans lequel Schneider pourrait puiser des éléments humains et abstraits, car en tant que films commerciaux, ils ne sont pas le produit du simple hasard et de l'aléatoire.
Nonobstant cette observation, il est également clair que les déconstructions de genre que les personnages de ces films mettent si souvent en scène, à savoir le rôle actif des femmes possédant une sexualité libre et autonome (même la victime devenue vamp), trouvent fréquemment des résonances dans les événements comportementaux qui se déroulent dans les photographies et les séquences DVD de Schneider ; le même sens de l'autonomie sexuelle que Stefanie Schneider possède et pour lequel elle s'est personnellement engagée.