Carol Inez Charney

d'après Claude Monet : Iris 1 1916, 2017

"En 2013, j'ai vu pour la première fois les saisissantes photographies semi-abstraites de Carol Inez Charney représentant des détails de l'architecture moderniste partiellement obscurcis et réfractés par l'eau. Ces grandes photographies, imprimées sur de l'aluminium et non encadrées, étaient photogéniques, bien sûr, mais aussi picturales, avec les courants d'eau qui semblaient couler le long d'une vitre invisible interposée, brisant l'image et la réassemblant en abstractions picturales rappelant les œuvres de Pollock, Still, Rauschenberg, Johns et d'autres qui avaient fasciné Charney lorsqu'elle était étudiante, et qui ont lancé sa carrière artistique. " Dans son dernier corpus d'œuvres, After Painting, datant de 2016, Charney se concentre complètement sur la culture, c'est-à-dire sur des peintures universellement aimées de Léonard, Van Eyck, Van Gogh, Monet, Matisse, Chagall et Picasso, toutes réalisées avant 1923, et désormais dans le domaine public. À l'aide de reproductions de haute qualité, Charney rephotographie des détails des œuvres et les regroupe par deux ou trois, en diptyques ou triptyques, pour employer le terme d'histoire de l'art utilisé pour les peintures à panneaux multiples. Le terme "After" fait référence à la manière dont les historiens de l'art étiquettent les anciennes œuvres réalisées par des artistes plus jeunes qui les admirent, une pratique courante avant l'avènement de la photographie, et une manière de rendre hommage au passé et d'en tirer des enseignements : Van Gogh a copié Rubens, Rubens a copié Léonard, et ainsi de suite. Parfois, cette méthode d'assimilation pratique donnait lieu à des variantes créatives, comme les innombrables variantes de Vélasquez de Picasso, ou les citations (ou parodies) de Giorgione et du Titien de Manet. "Le déplacement progressif de l'intérêt de Charney du monde naturel vers le monde de la culture visuelle n'est pas unique dans notre époque postmoderniste qui regarde et s'intéresse à la production culturelle de la même manière que les artistes du passé regardaient et s'intéressaient à la nature. Si le collage était le cœur de l'art moderniste, l'appropriation, c'est-à-dire la citation ou l'échantillonnage d'œuvres antérieures, pourrait être considérée comme le cœur du postmodernisme. Sherrie Levine, dans ses photographies After Walker Evans des années 80, a rephotographié les photos du grand documentariste social des années 30. Les fausses photos de films de Cindy Sherman, où la photographe est costumée et maquillée pour ressembler à des héroïnes typiques de films jamais réalisés, sont un autre exemple d'art dérivé d'un autre art. "La réutilisation créative de tableaux de maîtres par Charney ne reflète toutefois aucunement la remise en question postmoderniste de l'originalité citée plus haut. Diplômée en peinture et photographie, Charney reconnaît être une "peintre frustrée" qui a trouvé la photographie plus agréable que la peinture, mais qui recherche toujours la conversation ou le moment complexe offert par le médium plus lent et fait à la main. Dans les diptyques et triptyques soigneusement assemblés par Charney, nous retrouvons des tableaux modernistes emblématiques à travers le rideau de petits ruisseaux de l'artiste, enrichi par les associations métaphoriques de l'eau avec le temps, le changement, la métamorphose et l'inconscient. Il y a un siècle, Marcel Duchamp s'est moqué de ce qu'il considérait à l'époque comme l'intérêt fétichiste du connaisseur pour la main et la touche du peintre ; les études photographiques de Charney, qui "réinterprètent la peinture classique", nous permettent de profiter de ce travail manuel, rendu invisible pour nous par la familiarité, peut-être, grâce à son œil et son objectif aiguisés. -Dewitt Cheng